INTERVIEW

DIDIER AURIOL

CHAMPION DU MONDE 1994

Intelligent, distancié, observateur… Didier Auriol a toujours été plus qu’un pilote: un type bien, super-compétitif et qui a toujours su rester simple et abordable, sans jamais se laisser dominer par son ego ou sa vanité. Aujourd’hui, simplement, il parle d’Ott Tänak. Et, visiblement, ce jeune homme lui rappelle des souvenirs…

Textes Pascal Dro | Photos DPPI & Toyota GR – Rallyes Magazine N°287

QUAND TU SUIS OTT EN CAMÉRA EMBARQUÉE, CE QU’IL RÉALISE TE SAUTE AUX YEUX. C’EST MAGNIFIQUE ET SA VITESSE DE POINTE EST VRAIMENT SUBLIME.

DIDIER AURIOL

« QUAND TU SUIS OTT EN CAMÉRA EMBARQUÉE, CE QU’IL RÉALISE TE SAUTE AUX YEUX. C’EST MAGNIFIQUE ET SA VITESSE DE POINTE EST VRAIMENT SUBLIME. ». DIDIER AURIOL

Jusqu’à maintenant, Didier Auriol était le dernier pilote sacré champion du monde des rallyes avec Toyota. Et cela remontait a – déjà! – vingt-cinq ans. Mais ce dont on se souvient moins, c’est à quel point il avait dû se battre pour conquérir ce Graal. Vice champion du monde dès 1990, il battait, deux ans plus tard, le record du nombre de victoires en une saison, avec six trophées, mais échouait à nouveau dans sa quête du titre.
C’était, rappelons-le, une époque aussi disputée – parfois plus, même – que l’actuelle. C’était celle des Sainz, Kankkunen et autres, aux talents très particuliers, et les données politiques au sein des écuries étaient encore plus présentes qu’aujourd’hui. Pour Didier Auriol, il fallait défricher et prouver qu’un pilote français, logiquement rapide sur asphalte, surface d’élection du championnat de France (qu’il avait remporté quatre fois), pouvait également réussir sur la terre et sur neige pour battre les Scandinaves et son grand rival espagnol sur une campagne complète. Didier Auriol a été le premier à y parvenir, en 1994, avant que Sébastien Loeb puis Sébastien Ogier n’entament une invraisemblable série de quinze titres de champion du monde des pilotes, portant le tableau de chasse tricolore à seize trophées. Alors, pourquoi proposer aujourd’hui à Didier Auriol de commenter ce premier titre mondial de l’Estonien Ott Tänak? Pas simplement parce que ces deux couronnes ont été construites sur des Toyota (Celica GT-4 en 1994 et Yaris WRC en 2019), mais parce qu’à de multiples égards, leurs parcours se ressemblent et que leurs couronnes ont été conquises au terme d’un labeur acharné.​

Au RAC, en 1994, dimanche, en toute fi n de journée. Pour Didier Auriol comme pour Ott Tänak, le rêve d’une vie se réalise. Juha Kankkunen, qui en comprend l’importance, célèbre ce moment avec son coéquipier.

« OTT TÄNAK EST DIABLEMENT RAPIDE, FAIT MOINS D’ERREURS QUE PAR LE PASSÉ… ET A LA RÉUSSITE INDISPENSABLE POUR DEVENIR CHAMPION DU MONDE ». DIDIER AURIOL

OTT TÄNAK EST DIABLEMENT RAPIDE, FAIT MOINS D’ERREURS QUE PAR LE PASSÉ… ET A LA RÉUSSITE INDISPENSABLE POUR DEVENIR CHAMPION DU MONDE.

DIDIER AURIOL

Suis-tu toujours le championnat du monde ou est-ce, pour toi, de l’histoire ancienne?
Je le suis de loin mais, pour tout te dire, j’essaie de ne pas être accroché à cela. Ceci dit, avec les caméras embarquées, les live, etc., tu es quand même très présent dans la voiture et…
Et…?
Et bien… Ça donne envie! Il y a, que tu le veuilles ou non, une sorte de nostalgie, un manque.
Tu aurais envie de la piloter, cette Yaris? On essaie d’organiser un essai? Tu serais partant?
Oh, oui! Je crois que j’adorerais cela. Je ne sais pas si c’est possible, mais pourquoi pas? J’ai eu Tommi (Mäkinen, ndlr) au téléphone plusieurs fois quand nous avons tenté d’organiser une participation au Tour de Corse, l’an dernier, pour mes 60 ans. Cela n’a pas pu se faire pour des raisons de budget.
Les autos d’aujourd’hui, et cette Toyota Yaris en particulier, te plaisent?
Oui, beaucoup. Elles réussissent à reprendre les choses là où les Groupe B les avaient laissées. Elles ont tout: look, puissance, allure, bruit, agilité… C’est vraiment très beau à voir passer. Elles font aussi la démonstration que ce n’est pas la puissance qui est dangereuse. C’est une chose dont les pilotes sont vraiment friands et qui n’a finalement pas tant d’influence sur le danger.
Et la réussite du projet Toyota? Il suscitait une foule de questions, au départ…
Je dois reconnaître que j’étais assez dubitatif sur les possibilités de réussite du projet! (rires)
Pourquoi?
Il y avait la grande usine Toyota Motorsport à Cologne, avec une belle dynamique, les voitures du Mans, etc. L’expertise de la conception et de la construction de voitures de course se trouvait là-bas. Et, tout à coup, on apprend que Tommi va construire les voitures de rallye en Finlande, chez lui!
Pensais-tu qu’il réussirait à gérer cela et à se montrer compétitif rapidement?
Tommi est un pilote et un homme intelligent. Il a bien compris les enjeux, instantanément. Les attentes d’un constructeur sont assez simples, encore faut-il parvenir à y répondre.
C’est-à-dire?
Il lui fallait montrer rapidement que la Yaris était une bonne base, qu’elle allait vite et qu’elle obtiendrait prestement des résultats. Il a, dans un premier temps, construit une auto simple, avec des éléments connus et éprouvés, sans trop tenter d’innover et il l’a mise en piste. Et, sans attendre, ils ont réussi de bons chronos et con rmé un potentiel élevé. La démonstration étant faite, il a fallu passer à l’étape suivante: gagner des rallyes et se placer aussi vite que possible en position de challenger pour les titres mondiaux. Tommi a réussi cela à la perfection et Ott Tänak vient d’achever le boulot… Bravo à tous les deux.
Cela ne te donne pas quelques idées? L’envie de replonger ?
Que veux-tu dire? Devenir un Tommi Mäkinen français? Comme je te l’ai dit, j’ai bien tenté de trouver un volant pour disputer le Tour de Corse, qui est «mon» rallye et que j’ai remporté six fois. Mais cela a semblé tellement compliqué et si cher que cela s’est révélé impossible à monter et que nous avons laissé tomber. J’ai même appelé Tommi pour lui poser la question et Malcolm Wilson, aussi. Malcolm a été extraordinaire, il a fait son maximum. Mais cela n’a pas marché. Et je ne cours plus.
Et mettre ton expérience au service d’un constructeur, d’un team ?
Écoute, je suis là si quelqu’un a besoin de moi. Mais, tu sais, je ne vis plus en France, ma fille est aux États-Unis, mon fils vit sa vie aussi. Je ne sais pas…

La Toyota Celica GT-4 de Didier Auriol et Bernard Occelli porte fièrement le drapeau tricolore pour ce premier titre mondial en rallye d’un équipage français. Le prochain ? On compte sur Pierre-Louis Loubet en WRC2, dès cette année !

Et Tänak? Il nous a pas mal fait penser à toi, tu sais…
C’est un pilote enthousiasmant. Il a fait des erreurs, il a été viré deux fois par Malcolm Wilson, mais il y a quelque chose d’indéniable : il est «vite». Diablement «vite», même. Cela ne s’invente pas, ne s’apprend pas. C’est un talent et il l’a. Bon, bien sûr, il faut aussi de la réussite et un peu de maturité, mais cela fait trois ou quatre saisons que je l’observe, en spéciale et sur la gestion de ses rallyes. Et là, il est désormais très, très bon.
Deux victoires en 2017, quatre en 2018 et six en 2019… comme toi en 1992. Sauf que lui, cela lui a suffi pour coiffer la couronne mondiale.
C’est une illustration de ce que je te disais. Il est diablement rapide, fait moins d’erreurs que par le passé… et a la réussite indispensable pour devenir champion du monde.
C’est une espèce à part, celle des champions du monde?
Je ne sais pas si on peut dire cela ainsi, mais je me souviens de Loeb à ses débuts. Je l’avais un peu fait rouler sur la Toyota, tu te souviens? Et, instantanément, c’était plus qu’une évidence: il était ultra-rapide.
Et Sébastien Ogier?
Même histoire, même talent, même carrière et toujours après avoir un peu «cassé du bois» en début de parcours.
Il y a eu de prestigieux «ferrailleurs», avant eux. Colin McRae, Ari Vatanen, Petter Solberg, toi – mais beaucoup, beaucoup moins qu’eux, c’est vrai – et Ott Tänak aujourd’hui, qui est quand même le seul pilote du championnat du monde à avoir failli se noyer en spéciale!
Exact. Leur point commun, à tous, c’est qu’ils ont, dès le début, été très rapides. Et s’il y a eu, au cours de l’Histoire, une foule de pilotes moins rapides et plus réguliers, plus «normaux», vraiment très peu d’entre eux sont devenus des champions.
Dans un sens, c’est la preuve d’un sport sain: il s’agit de courses et les plus rapides, une fois les ficelles du métier assimilées, s’imposent toujours. Cela pose tout de même la question des pilotes «de pointe» qui ne gagnent presque jamais.

Oui, c’est la bonne manière de voir les choses. Les plus rapides gagnent. Et le reste, finalement, ne compte pas beaucoup.
Et les autres? Les pilotes «de tête»?
N’en parlons pas… Mais c’est vrai qu’il en existe un certain nombre qui sont là depuis longtemps et ne se sont jamais vraiment imposés. Certains durent, d’autres disparaissent faute de résultats. Mais, c’est vrai, être régulier, courir pour faire «Top 5», cela n’a jamais fait une carrière ou un champion. Dès lors, c’est presque normal, naturel, qu’ils disparaissent.

 

Pourrait-on simplement imaginer ce genre de scène aujourd’hui, dans les rallyes si policés du XXIe siècle ?

Les frères ennemis du championnat du monde, au début des années 1990. Sainz et Auriol se sont toujours marqués à la culotte. Quels personnages extraordinaires !

Avec Ove Andersson, ancien pilote de rallye et très politique patron de Toyota Motorsport.

« SON DÉPART EST SURPRENANT, JE TE L’ACCORDE, MAIS UN GRAND PILOTE A TOUJOURS BESOIN DE NOUVEAUX CHALLENGES. MAIS APRÈS TROIS ANS CHEZ TOYOTA, CELA ME PARAÎT UN PEU TÔT. ». DIDIER AURIOL

SON DÉPART EST SURPRENANT, JE TE L’ACCORDE, MAIS UN GRAND PILOTE A TOUJOURS BESOIN DE NOUVEAUX CHALLENGES. MAIS APRÈS TROIS ANS CHEZ TOYOTA, CELA ME PARAÎT UN PEU TÔT.

DIDIER AURIOL

Incroyablement concentré sur son sujet, jamais pris en défaut cette année, le nouveau Tänak est désormais l’homme à battre sur la scène mondiale. Chez Hyundai, le nouveau champion du monde va désormais imposer sa loi.

Cela renvoie aussi au talent du patron pour canaliser les choses, gérer les pilotes. Et, avec Tänak, Tommi semble avoir fait mieux que Malcolm Wilson, non?
Ott Tänak a aussi mûri entre ces époques, il ne faut pas l’oublier. Mais, c’est vrai, Mäkinen est un ancien pilote, qui plus est quadruple champion du monde, et il sait mieux que personne ce qui se passe dans leur tête et comment les gérer. À chaque fois, il doit trouver, au moins, un « puncheur» et un «marqueur».
Le talent de manager de Mäkinen semblait même avoir réussi avec Kris Meeke, que Citroën avait viré de manière assez brutale. Depuis, chez Toyota, il semblait avoir appris la leçon et ne «cassait plus de bois».
Oui, c’était vrai jusqu’à la Catalogne! (rires)
Quels sont les jeunes que tu suis et qui promettent en WRC?
Le fils Rovanperä, Kalle, m’impressionne assez. Très bien entouré, très préparé par un entourage connaisseur et professionnel, pilote d’usine Škoda à 19 ans, il est aussi rapide et très mature. Je pense qu’il ira loin.
Depuis la Catalogne, la question de la succession de Tänak chez Toyota s’est posée. Ott partant rejoindre Hyundai, Toyota ne pourra même pas exploiter ce titre tout l’hiver. Un coup dur, tout de même. Mäkinen l’avait-il prévu?
Son départ est un peu surprenant, je te l’accorde. Mais, d’un autre côté, un grand pilote a toujours besoin de nouveaux challenges, de nouveaux dé s. C’est ça qui le pousse: prouver qu’il peut gagner à nouveau, dans un nouvel environnement. C’est ce qu’a fait Sébastien Ogier avec talent, récemment. Mais, dans le cas de Tänak, après… quoi… trois ans chez Toyota, cela me paraît un peu tôt.
Il passe chez Hyundai, qui roule devant depuis quatre ans et n’a toujours pas conquis de titre pilote.
Il est sans doute là, le défi qu’il cherchait. Et nous ne savons pas tout, bien sûr, concernant Toyota, l’argent, les relations au sein du team…