WRC

OTT TÄNAK, CHRONOLOGIE D’UNE DÉCENNIE DE MATURATION

Devenu l’une des références du WRC depuis deux ans, Ott Tänak a mis près d’une décennie pour se construire un statut de potentiel champion du monde. Retour sur le parcours d’un pilote redoutable et redouté.

Textes Arnaud Guygrand & Frédéric Dart | Photos Arnaud Guygrand, SCD/Jo Lillini & DR/RED BULL – Rallyes Magazine N°284

AVEC LA YARIS, JE ME SENS BIEN AU VOLANT ET J’AI L’IMPRESSION DE POUVOIR ME BATTRE AU DÉPART DE CHAQUE RALLYE POUR LA VICTOIRE, CE QUI EST ESSENTIEL.’’

Malgré plusieurs opportunités offertes tout au long de sa carrière, Ott Tänak a souvent alterné entre espoir et déception avant de rebondir au fil des ans. Sous l’impulsion de Malcolm Wilson et, désormais, de Tommi Mäkinen, l’Estonien est devenu une figure incontournable du WRC.

2010
LA PREMIÈRE MARCHE

Après avoir écumé les routes estoniennes pendant plusieurs saisons couronnées, notamment, par un titre national en 2008, le natif de Kärla (sur l’île de Saaremaa) est sélectionné comme pilote européen pour participer à la deuxième cuvée du Pirelli Star Driver. Au volant d’une Mitsubishi Lancer Evo X, l’Estonien commence en Mondial en PWRC (réservé aux voitures de production du Groupe N). Dès le début de la saison, les temps sont au rendez vous et la première victoire ne tarde pas à arriver…en Finlande, rien que ça ! Le pilote de 22 ans (à l’époque) termine en trombe en s’imposant, à nouveau, en Grande-Bretagne. Grâce à ses deux succès et à une 4e place finale en PWRC, Tänak attire déjà les regards !

En 2010, Ott Tänak se fait remarquer avec la Mitsu Evo X du Pirelli Star Driver.

2011
UNE NOUVELLE ÉTAPE

Ses performances en PWRC ne sont pas anodines et tapent dans l’œil de Markko Märtin. Avec sa propre équipe, l’ex-pilote o ciel décide de faire rouler son compatriote en SWRC (réservé aux S2000) au volant d’une Ford Fiesta. Là encore, les débuts sont tonitruants pour l’Estonien qui enchaîne trois victoires et deux 3e places en six courses. Face à Juho Hänninen, tout juste auréolé d’une couronne en IRC (2010), Tänak perd le titre suite à sa sortie en Grèce mais ses résultats ont convaincu à nouveau. Sous l’impulsion du manufacturier DMack et du team M-Sport, il termine sa saison en disputant deux rallyes sur une Ford Fiesta WRC. En Grande-Bretagne, alors que le titre mondial se joue entre Loeb et Hirvonen, il décroche une remarquable 6e place  finale avant de signer un podium (3e) sur les routes du Rallye du Var. C’est suffisant pour que Malcolm Wilson l’intègre à M-Sport en tant que pilote officiel en 2012.

Six podiums en autant de rallyes en SWRC en 2011.

2012
LA TENDANCE S’INVERSE

Après deux saisons à accumuler les victoires en PWRC, puis en SWRC, Tänak débarque officiellement dans la catégorie-reine. Et l’acclimatation ne se fait pas sans douleur ! Les résultats se font attendre et les abandons, notamment liés à des erreurs de pilotage, s’empilent trop rapidement (sorties en Nouvelle- Zélande, en Grande Bretagne et en Espagne). Une 3e place en Sardaigne et huit meilleurs temps au fil de la saison ne sont qu’une maigre consolation pour Malcolm Wilson qui décide de ne pas le reconduire pour la saison suivante.

En 2012, Malcolm Wilson donne sa chance à Ott Tänak en WRC.

2013
RETOUR À LA CASE DÉPART

Sans volant officiel, l’Estonien n’a pas d’autre option que de revenir là où tout a commencé… Avec une Subaru Impreza STi N12, il prend part à son championnat national et se contente de ronger son frein. Avec quatre podiums en autant de courses disputées, il termine au deuxième rang du championnat et lorgne sur un retour en WRC au plus vite.

2014
TOUT À RECONSTRUIRE

Enrôlé par DMack pour participer à la saison du WRC2 au volant d’une Ford Fiesta R5, Tänak parvient à élargir son programme avec trois apparitions au volant de la Fiesta WRC (Suède, Portugal et Grande Bretagne). Même si une sortie lui coûte probablement un podium au Portugal, ses prestations suédoise (5e) et galloise (7e) sont intéressantes et ponctuent une saison plus aboutie. Trois podiums en WRC2, dont une victoire en Pologne, lui permettent même de décrocher une seconde chance inespérée pour la saison suivante.

2015
UNE MATURITÉ À LA BONNE HEURE

Ses nombreuses remises en question et une place loin d’être assurée lui ont fait gagner en maturité. Malcolm Wilson attache une importance capitale à cet aspect pour remplacer Mikko Hirvonen, parti à la retraite. Les attentes placées en Tänak sont nombreuses et sa saison, faite de rares hauts et d’habituels bas, ne lui permet pas de s’assurer une place officielle pour 2016. Avec un podium en Pologne, son seul véritable fait d’armes se résume à sa sortie de route dans un lac mexicain. Une dixième place finale au championnat et deux erreurs en fin de saison (Espagne et Grande-Bretagne) le privent, à nouveau, de volant officiel pour l’année suivante.

En 2015, Ott Tänak trouve refuge en WRC2, toujours avec la Fiesta R5.

2016
LA DERNIÈRE CHANCE ?

En dents de scie depuis plusieurs années, la carrière de Tänak s’écrit désormais en pointillés en WRC. Les nombreuses opportunités offertes par Malcolm Wilson semblent n’avoir jamais trouvé de réponses favorables et la patience du Britannique s’épuise. Soutenu à plusieurs reprises par DMack, l’Estonien trouve refuge au sein de l’équipe privée engagée par le manufacturier. Au volant de la Fiesta WRC DMack, la différence se fait sentir sur l’asphalte où il ne peut clairement pas rivaliser. Sur la terre, en revanche, les performances sont au rendez-vous et une crevaison lui arrache sa première victoire en Pologne alors qu’elle lui tend les bras. En Grande-Bretagne, il éclabousse de toute sa classe la course en signant douze meilleurs temps sur vingt-deux possibles et échoue à 10s de la victoire face au duo (intouchable ?) Ogier-Volkswagen Polo. Le rythme et la régularité, qui lui faisaient défaut jusque-là, sont un atout de poids pour la suite de sa carrière.

2017
LE DÉCLIC

Aux côtés de Sébastien Ogier, débarqué sans prévenir par Volkswagen, Tänak prend, à nouveau, du galon et se retrouve en première ligne dans l’équipe officielle M-Sport pour l’arrivée de la toute nouvelle génération de WRC. Ayant, une nouvelle fois, regagné l’estime de Malcolm Wilson, l’Estonien a largement contribué au développement de la dernière Fiesta WRC et se montre impatient de travailler avec son coéquipier, désormais quadruple Champion du Monde. L’entente est bonne et les résultats suivent. Sous l’impulsion du Français, il enchaîne les prestations convaincantes et la délivrance arrive enfin en Sardaigne où il décroche son premier succès en WRC. Quelques semaines plus tard, il impressionne et affiche ses progrès sur l’asphalte en s’imposant, à nouveau, en Allemagne. Avec sept podiums dont deux succès, Tänak tient là, avec une 3e place au Championnat, une véritable saison de référence après tant d’années difficiles. Avec Ogier dans son équipe, l’Estonien comprend rapidement que les options seront limitées pour l’avenir. Face à l’énorme proposition formulée par Toyota, Malcolm Wilson ne fait pas le poids et ne parvient pas à conserver son pilote dont il a été le principal artisan de la carrière en WRC.

Sept podiums dont deux victoires en 2017.

Avec la Toyota Yaris WRC, Ott Tänak, associé à Martin Järveoja, s’avère l’homme à battre au départ de chaque rallye.

LA FIA LUI DÉCERNE LE TITRE DE PILOTE DE L’ANNÉE TROIS FOIS DE SUITE.

2018
LE RENOUVEAU

L’arrivée chez Toyota marque un véritable tournant dans sa carrière. Après quasiment huit ans passés chez M-Sport, l’Estonien a tout à découvrir dans l’équipe de Tommi Mäkinen. Et les résultats ne se font pas trop attendre. Dès le Monte-Carlo, le rythme est là et une remarquable 2e place honore cette première. En Suède et au Mexique, les marques sont plus compliquées à trouver mais la 2e place corse et la victoire en Argentine prouvent que l’alchimie fonctionne déjà bien ! La deuxième partie de saison est, ensuite, un véritable récital avec trois victoires consécutives en Finlande, en Allemagne puis en Turquie qui le replacent, plus que jamais, dans la course au titre mondial face à Ogier et Neuville. La fin de saison est «irrespirable» et l’Estonien est désormais sur une autre planète. Il domine en Grande-Bretagne et se retrouve en bonne position pour s’imposer mais une réception après un jump, stoppe le moteur de la Yaris. En Espagne, le scénario est le même mais, cette fois, c’est une crevaison qui perturbe sa progression. Dans un suspense haletant, c’est finalement une sortie en Australie qui met fin à sa saison. Avec soixante-dix meilleurs temps et quatre victoires, l’Estonien est clairement l’homme de cette année alors qu’il devait tout découvrir de son équipe, de sa monture… La FIA en pro te pour lui décerner le titre de pilote de l’année pour la troisième fois consécutive.

Sur chaque manche, ses supporters se déplacent.

2019
CONFIRMER SON STATUT

Considéré, à juste titre, comme un futur champion du monde, Tänak a désormais l’expérience pour lui au sein du team Toyota. À l’image de sa fin de saison dernière, 2019 démarre sur un air de déjà-vu. Au Monte-Carlo, il domine les débats sans contestation possible mais une crevaison lui coûte une possible victoire; il termine 3e. En Suède, il écrase la concurrence pour empocher son premier succès de l’année et se retrouve en tête du Championnat du Monde pour la première fois de sa carrière. Au Mexique, malgré le net désavantage de sa position sur la route, sa course est remarquable et il parvient à décrocher la 2e place finale. En Corse, le scénario se répète une nouvelle fois avec une course aux avant-postes et une crevaison en milieu de seconde étape, il termine 6e et bascule au troisième rang du Championnat derrière ses deux rivaux pour le titre, Neuville et Ogier. Ott Tänak affiche clairement ses prétentions: « Avec l’expérience des saisons passées, le Championnat est devenu l’objectif, ce qui n’était pas le cas auparavant. J’ai franchi une étape en 2017 avec la Ford Fiesta et l’an passé a vraiment été une saison importante. Avec la Yaris, je me sens bien au volant et j’ai l’impression de pouvoir me battre au départ de chaque rallye pour la victoire, ce qui est essentiel. L’équipe travaille vraiment dur pour en arriver à ce niveau et les efforts payent. Avec Sébastien et Thierry, la lutte est vraiment intéressante mais je pense que la pression est sur leurs épaules. Il faut juste que je pense un peu plus au Championnat sans tout donner forcément à chaque fois pour la victoire. J’ai vu récemment que je perdais des points importants en attaquant parfois trop. Il va falloir que j’évite de prendre des risques superflus. Sébastien est un exemple parfait. En 2018, quand il ne pouvait pas s’imposer, il est allé chercher les points nécessaires pour sécuriser le titre. Je vais devoir peut-être me tempérer pour rester dans le match du Championnat toute l’année. »

La collaboration avec Martin Järveoja comme copilote dure depuis 2017.

Lequel des trois équipages (ici au dernier Monte-Carlo), montera sur la plus haute marche en fin de saison?

TÉMOIGNAGE : « C’EST UN VRAI PRO »

EN CHARGE DE L’ATELIER SUSPENSIONS, DIRECTION ET FREINS CHEZ TOYOTA GAZOO RACING, DIMITRI DEMORE VIENT D’ENTAMER SA DEUXIÈME SAISON AVEC OTT TÄNAK. IL APPRÉCIE L’HOMME ET SA PERSONNALITÉ, ÉLOIGNÉS DE L’IMAGE QUE L’ESTONIEN LAISSE TRANSPARAÎTRE EN PUBLIC.

«Avec nous, les mécaniciens, Ott Tänak est hyper sympa, humble, honnête, avec son franc-parler, vrai et humain. Il est à l’inverse de l’image froide et secrète qu’il peut donner. Avec lui, c’est un plaisir de bosser, de discuter de tout et de rien. Il n’a pas un mot plus haut que l’autre. Il est là pour faire son boulot, pour gagner. C’est un vrai pro. Il est à fond dans le rallye. Il baigne dedans depuis tellement longtemps. En dehors du rallye, il a une vie privée et de père de famille qui ne nous regarde pas. Une fois par semaine, Ott vient nous voir à l’atelier. Il n’habite pas très loin et boit le café avec nous. C’est un type normal qui fait partie de l’équipe.
L’équipe a été invitée à la première du film documentaire Ott Tänak the Movie (sorti le 11 avril en Estonie) qui lui est consacré. Entre chaque manche de la saison 2018, on voit un retour sur ses débuts, l’évolution de sa carrière, comment il est arrivé là, qui l’a aidé, ses hauts et ses bas… C’est super intéressant. Il évoque Malcolm Wilson, qui a contribué à sa réussite.
Cette saison, à chaque course, le classement du Championnat (pilotes) est chamboulé. Celui qui gagne passe devant. On l’a vu en Corse: Ott passe de 1er à 3e en un rallye. Il faut prendre des points. Ça nous oblige à être à 100 % sur tout ce que nous faisons pour lui fournir la meilleure auto. Parfois, la chance manque. Une crevaison, comme en Corse, ça arrive. Ça fait partie de la course.
Ott est hyper pointu d’un point de vue technique. Il sait ce qu’il veut sur sa voiture, comment l’adapter à son pilotage, dans quelle direction aller après quelques aller-retours en essai, dire quand l’auto va bien ou pas. Pour nous, c’est la meilleure façon de travailler: avec quelqu’un capable de mettre au point la voiture, d’avoir un feeling sur les réglages. Ott sait si ça va aller vite ou pas.
Nous bossons tous pour atteindre le même but: être champions. Nous aimerions bien obtenir les deux titres, constructeurs et pilotes, cette année. Et mettre un terme à la domination française! (sourire)»

OTT EST UN TYPE NORMAL QUI FAIT DE L’ÉQUIPE