LÉGENDE

JEAN-LUC THÉRIER : TCHAO L'ARTISTE

C’ÉTAIT EN 2012, IL Y A LONGTEMPS DÉJÀ. MAIS C’ÉTAIT INOUBLIABLE. L’IDÉE? RASSEMBLER EN ARDÈCHE, AUTOUR D’ANTRAIGUES, SUR DES PETITES ROUTES DU MONTECARLO QU’ILS ONT SILLONNÉES COMME DES MALADES DES ANNÉES DURANT, JEAN-CLAUDE ANDRUET, JEAN-PIERRE NICOLAS, JEAN RAGNOTTI… ET JEAN-LUC THÉRIER QUI VIENT DE NOUS QUITTER.

Textes Pascal Dro | Photos FABRICE REZAIGUIA & DPPI – Rallyes Magazine N°286

LÉGENDE

LES TONTONS FLINGUEURS

JEAN-LUC THÉRIER

Né le 7 octobre 1945 à Hodengau-Bosc.
Décédé le 31 juillet 2019.
Triple Champion de France des Rallyes (1969 sur R8 Gordini, 1973 sur Alpine A110 et 1982 sur R5 Turbo).
Deux victoires en Championnat International des Marques 1970, au San Remo et à l’Acropole sur Alpine A110.
Cinq victoires en Championnat du Monde des Rallyes :
– Portugal, Acropole et San Remo 1973 sur Alpine A110.
– Press on Regardless 1974 sur R17 Gordini (première victoire mondiale d’une Renault).
– Tour de Corse 1980 sur Porsche 911 SC (dernière victoire mondiale d’une Porsche).

JEAN-PIERRE NICOLAS

Né le 22 janvier 1945 à Marseille.
Débute en rallyes en 1965 sur R8 Gordini.
Champion de France des Rallyes en 1971 (Alpine A110), 2e de la Coupe FIA des pilotes en 1978 (vice-Champion du Monde).
Cinq victoires en Championnat du Monde des Rallyes :
– Tour de Corse 1973 sur Alpine A110.
– Rallye du Maroc 1976 sur Peugeot 504 Coupé.
– Monte-Carlo 1978 sur Porsche 911 SC Alméras.
– Safari Rally et Bandama en 1978 sur Peugeot 504 Coupé V6.
Triple vainqueur du rallye du Maroc (1968, 1974 et 1976), vainqueur du Portugal 1971 et du Tour de France 1974.
Pilote et metteur au point de la Peugeot 205 T16.
Premier pilote à avoir imposé une Porsche en Championnat du Monde (Monte-Carlo 1978).

JEAN RAGNOTTI

Né le 29 août 1945 à Carpentras.
Débute en rallyes en 1967 sur R8 Gordini.
Champion de France des Rallyes 1972 (Opel Ascona), 1980 (R5 Alpine) et 1984 (R5 Turbo Tour de Corse) et vice-Champion de France des Rallyes 1992 (Clio Williams).
5e du Championnat du Monde des Rallyes 1987 (R11 Turbo).
Trois victoires en Championnat du Monde des Rallyes :
– Monte-Carlo 1981 (R5 Turbo).
– Tour de Corse 1982 (R5 Turbo).
– Tour de Corse 1985 (R5 Maxi Turbo).
Champion de France de Superproduction 1988 (R21 Turbo 4×4).
4e des 24 Heures du Mans 1977 (Inaltera) et 1978 (Alpine A442).

JEAN-CLAUDE ANDRUET

Né le 13 août 1940 à Montreuil.
Champion de France junior de judo.
Débute en rallyes en 1966 sur R8 Gordini.
Champion d’Europe des Rallyes en 1970 (Alpine A110).
Champion de France des Rallyes en 1968, 1970 et 1972 (Alpine A110).
Trois victoires en Championnat du Monde des Rallyes :
– Monte-Carlo 1973 sur Alpine A110 1800.
– Tour de Corse 1974 sur Lancia Stratos 2000.
– San Remo 1977 sur Fiat 131 Abarth.
Triple vainqueur du Tour de Corse en 1968, 1972 et 1974.
Triple vainqueur du Tour de France Auto en 1972, 1981 et 1982 (seul pilote à avoir emmené une Ferrari sur un podium du Championnat du Monde, en Corse en 1982).
Vainqueur de l’indice aux 24 Heures du Mans 1968 avec Jean-Pierre Nicolas, sur proto Alpine A210, et en 1972 (5e au général).

« France Info, il est 6 h 30. La neige est en avance cette année. Cette nuit, les premiers flocons sont tombés sur les contreforts des Alpes… » Bonne nouvelle. Depuis une demi-heure, nous sommes en route pour Villefranche-sur-Saône. La veille, Jean Ragnotti est monté à Paris chercher « sa » Clio Renault Sport. À Villefranche, nous sommes en Peugeot 207 RC et Honda Civic Type R et nous devons rejoindre Jean-Claude Andruet chez l’un de ses vieux potes, époque R8 Gordini. Il fait encore nuit. Pour être franc, nous ne savons pas où nous mettons les pieds. Cette drôle d’idée est née dans un couloir…
Vous le savez, le grand Jean-Luc vient de nous quitter. Et s’il est une certitude, c’est qu’après avoir été abandonné par tant de monde – dont Citroën au pire moment -, l’hommage solennel et la peine affichée par tant de gens du métier l’auraient fait sourire. Il n’est même pas certain qu’il aurait souhaité cela. Ce qu’il aurait souhaité, en revanche, avec certitude, c’est de revivre avec ses potes ces moments inoubliables, cette jeunesse aventureuse et ces victoires en France et au bout du monde. Ce que nous souhaitions aussi rappeler, au passage, c’est que si le championnat du monde des pilotes était né en 1973, en même temps que celui des constructeurs, Jean-Luc Thérier, avec ses victoires au Portugal, à l’Acropole et au San Remo, aurait été sacré Champion du Monde, comme le fut Alpine cette année là. Et, pour nous, il restera le roi de la saison 1973.

Souvenirs intacts
Ragnotti et Andruet au volant, ça monte fort. C’était la question : allaient-ils, oui ou non, rouler, comme des malades ? La réponse est oui ! Et, quand on s’en inquiète d’un air détaché, façon « les freins ne vont pas tenir », ils répondent : « Mais je n’attaque même pas ! » Ça promet… Jean-Claude apprécie très vite les qualités du moteur de la Honda, qui débute « une seconde vie après 6 000 tr/mn », mais se plaint un peu de la commande de boîte. Une remarque qui sera reprise par les autres : « Le levier tombe mal quand on ne le regarde pas ». Jean, lui, enroule et suit de très près, l’air détaché et hilare au volant. Sa Clio est sans doute la moins radicale des trois. Nous montons, nous descendons, nous attaquons et nous nous retrouvons très vite autour de Moulinon et de Lachamp-Raphaël, noms magiques du Monte-Carlo avec des Berlinette en dérive, des Audi Quattro qui arrachent la glace… Étonnant à quel point ces pilotes se souviennent de ces spéciales. Ils savent par cœur ce qu’il y a après chaque épingle, le lieu où se trouve tel chalet, les passages à l’ombre et ceux au soleil, les pièges et les portions très rapides. La neige par terre ?

Hilare, Jean-Luc Thérier – et Marcel Callewaert, déjà la tête dans les notes – au départ du Tour de Corse 1973. Mais c’est Jean-Pierre Nicolas qui allait s’imposer pour ce qui était la finale du Championnat du Monde (avec dix neuf Alpine au départ !).

L’Ardèche en hiver. Tous trois en connaissent les virages, les villages. Ils les ont reconnus durant des semaines, des nuits, des années. C’est le prix à payer pour gagner. Et la neige est là. Un très intéressant terrain d’exercice…

BARMAN, C’EST CELUI QUI CHANGE LES BARRES (ANTIROULIS) !

JEAN RAGNOTTI

Mais quelle neige ? Lorsque je veux calmer les ardeurs d’Andruet, je lui signale une trace de verglas sur un asphalte noir, luisant. Et lui de répondre : « Le verglas, faut le mépriser ». Je repense à Michèle « Biche » Petit, sa copilote d’alors, et aux fins de Monte-Carlo où elle n’était plus en état d’annoncer les notes, terrorisée par ce qu’elle venait de vivre. Le mont Gerbier-de- Jonc, la descente sur Antraigues et un passage, inévitable, à La Remise. C’est le lieu, historique et chargé de mémoire, bien sûr, du dîner prévu juste avant 20 h. Mais, à 19 h, à l’heure de passer devant pour rejoindre Vals-les-Bains et l’hôtel du Vivarais, qui hébergeait à l’époque la Squadra Alpine, nous tombons sur Yves Jouanny, à qui nous avions soumis l’idée de cette épopée quelques jours avant.

Jouanny, Moulinon et Ferrat
Aussi célèbre que le Moulinon ou que Jean Ferrat, qui ont marqué les lieux, Yves traverse la rue chargé de salades lorsque nos trois bolides déboulent et font mine… de vouloir l’écraser. Immédiatement, ce qui ne devait être qu’une bise en passant devient un apéro dans le restaurant. Au bar, Ragnotti imite Jean Todt descendant du muret des stands, puis rappelle l’incroyable distraction d’Andruet de cette manière : « Un jour, quand je résidais à Paris, Jean-Claude m’appelle et me propose de venir dîner avec lui. Je réponds OK et me rends, environ trois heures après, au restaurant convenu. Jean-Claude n’est jamais venu et ne m’en a jamais reparlé. Lui en vouloir ? Non ! Il avait simplement oublié ». L’ex-fer de lance (la première victoire d’une Stratos en Mondial, c’est lui) n’en croit pas ses oreilles et enchaîne avec sa découverte de l’endroit : « C’est ‘‘Bélou’’, le père d’Yves, qui l’a créé au début des années 1960 ». Comment l’a-t-il trouvé ? « Comme toujours dans ma vie, en m’arrêtant, en parlant avec les gens. Je n’avais pas un sou en poche, je débarquais de Montreuil pour le rallye sans savoir ce qui allait se passer. Ma vie est faite de rencontres, mais celle-ci a été l’une des plus importantes… » Pour la maison Jouanny aussi, visiblement. Le portrait en noir et blanc du bellâtre, agrémenté de son tableau de chasse (sportif, s’entend), est resté dressé au-dessus du bar. Yvette Jouanny, sœur d’Yves et fille d’Yvonne – véridique -, lui fait une déclaration émouvante : « J’étais amoureuse de toi, comme toutes les filles de la région. Parfois, certaines, à qui tu donnais rendez-vous à tel ou tel endroit, poireautaient des heures. » Ce n’était pas de l’incorrection, mais de la distraction. Un type vraiment étonnant, ce Jean-Claude ! Figurez-vous qu’une fois, un samedi matin de reconnaissance, dans le hall de l’hôtel, il a réalisé qu’il n’avait pas d’argent pour payer l’essence de la journée. Les banques étant fermées, il a demandé à « Bélou » de lui prêter 1 000 F. Celui-ci s’est exécuté et, à l’instant de prendre l’argent de ses mains, un éclair lui a traversé l’esprit : il avait déjà vécu la même scène, un an auparavant. En clair, il devait déjà 1 000 F à son hôte ! Mais revenons à nos moutons.

Culture course
Il est temps de filer à l’hôtel, où se reforme donc 75 % de l’écurie Alpine d’usine, vainqueur du premier Championnat du Monde des Rallyes de l’Histoire, en 1973. Nous y retrouvons les époux Thérier. Dans mon esprit, Jean-Luc était un petit gars râblé. Dans la réalité, c’est un grand costaud. Et pas du genre à garder sa langue dans sa poche. Première idée saugrenue : appeler Guy Fréquelin, dont le différend avec Darniche après un Monte-Carlo fini « au tas », à deux, par la faute d’un arbre égaré, durera encore des siècles. C’est Jean-Luc qui prend le combiné : « Monsieur Fréquelin ? C’est Bernard Darniche… » Et la réponse de fuser : « Connard ! », avant que Jeannot ne rattrape le combiné : « Guy ? C’est le mec du Vaucluse. Juste pour vous dire qu’il va toujours très vite et qu’en plus, avec lui, vous aurez du bon vin ! »
Étrangement, Jean-Luc Thérier est celui qui possède la plus grande culture de la course, toutes catégories confondues, d’hier et d’aujourd’hui. Nascar, Champ Car, F1… Il connaît tout. C’est assez rare chez les pilotes, très souvent centrés sur leur discipline et leur époque. Son fils Nicolas, grand malade d’histoire des rallyes – il connaît les chronos de tous les pilotes sur toutes les spéciales de la saga Alpine ! -, doit être pour beaucoup dans cette passion. Et, quand Jean-Pierre retrouve Jean Luc, la première histoire à sortir du chapeau, c’est celle du rallye de l’Acropole remporté par le second avec les notes du premier. Cela se passait ainsi, à l’époque : quand Jean-Luc testait les autos autour de Dieppe, Jean-Pierre reconnaissait les spéciales. Et, immédiatement, la phrase garantie d’époque a fusé : « Que tu coures avec mes notes, soit. Mais que tu me battes avec elles, cela ne m’a pas plu… ». Un sujet qui est revenu sur la table quelques instants plus tard, à La Remise (l’extraordinaire restaurant des Jouanny au 04 75 38 70 74, appelez de notre part). Les notes… Figurez-vous qu’elles ne sont pas interchangeables. Certains veulent des vitesses, d’autres des ambiances. Nicolas et Thérier, eux, donnaient la priorité à la distance entre les virages, histoire de créer un rythme. Très vite, nous sommes dans le vif du sujet. Avec les mêmes – Jean a tout de même piloté pour Alpine avant Renault Sport et l’ère Gérard Larousse, en 1975 – et la même passion. Jean-Claude parle ensuite à Jean-Pierre Nicolas, ex-patron de Peugeot Sport : « – On a vu le jeune Cuoq. Tu lui as vendu sa 307 WRC une fortune ! – Et encore, je lui ai fait un prix ! Je crois même me souvenir qu’il en a pris deux. – Vrai ? Oui, oui… Sa 206 WRC s’est revendue au prix où il l’avait achetée. Le seul risque, c’est de la détruire. Pour le reste, ces autos restent de très beaux investissements. – Et toi, ton Alpine du Tour de Corse historique, elle est à toi ? – Mon pauvre ! Si, à l’époque, j’avais su ! Ces autos sont devenues hors de prix. Celle-ci m’a coûté très cher, mais les Berlinette sont aujourd’hui parfaitement introuvables. – Et toi, Jean ? Tu as conservé des autos ? – Je n’en possède que deux : une Renault 5 Groupe 2 et la Turbo du Monte-Carlo. Elle m’a été offerte par Bozian pour mes cinquante ans. »
Puis nous enchaînons sur les coéquipiers avec, fort logiquement, l’entrée en scène de Jean Todt. Ce qui est fou avec cet homme-là, c’est l’emprise qu’il installe sur son environnement. Et la trace qu’il laisse, même trente ans plus tard. Exemple : « Sa première grande victoire, c’est avec moi que Jean Todt l’a signée, au Lyon-Charbonnières », dit-il avant qu’un large sourire ne l’illumine. Un bon souvenir refait surface : « Lors d’un Rallye Neige et Glace, je suis sorti six fois de la route. Là aussi, Jean était avec moi. Ensuite, il ne voulait plus remonter à bord. » Signé Andruet. Arrivent ensuite les petits plats savoureux de la famille Jouanny qui nous permettent de constater que les coups de fourchette de nos « tontons » sont aussi sûrs que leurs contre-braquages. Côté pinard, itou. Ils prendront l’air en rentrant à pied ! Mais, comme il faut aussi travailler un peu, je risque une question : « De toute l’équipe, Darniche compris, qui était le meilleur ? » Là, deux réponses étaient envisageables : « Impossible à dire » ou « C’était X ». La première sortirait de la bouche de pilotes, la deuxième de potes. La réponse ? « Le plus doué, c’était Jean-Luc. Naturellement, c’était plus que flagrant ». Bel hommage, salué par une banane écarlate sur la tête toujours frisée du grand Normand. Ils sont bien, nos vieux amis. Émouvants, surtout.

TOI, DÈS QU’IL Y AVAIT DE LA POUSSIÈRE, T’AVANÇAIS PLUS.

JEAN-LUC THÉRIER À JEAN-CLAUDE ANDRUET, ÉVOQUANT SA CRAINTE DE LA SALETÉ.

Au RAC 1973, les choses auraient pu bien se passer face à Roger Clark et Timo Makkinen. Mais bon, il y avait un arbre au bout de la longue ligne droite qui traversait le bois de Leicester…

Les mêmes endroits, à vingt-cinq ans d’écart. Mais toujours avec la même fougue !

DARNICHE PLUS RAPIDE QUE MOI DANS LE MOULINON ? TU SAIS QU’ELLE N’EST PAS DRÔLE, TON HISTOIRE ?’

JEAN-CLAUDE ANDRUET À JEAN-LUC THÉRIER

À 200 km/h sans les mains !
Les histoires se succèdent sans fin pour ne pas trop céder à l’émotion. Ne le répétez pas, mais les suivantes parlent de records, à une époque sans radars ni limitations de vitesse, de traversées de la France en cinq heures et demie, de Paris-Marseille à 260 km/h en Ford Sierra Cosworth, avec des camionnettes Diesel qui repassaient devant à chaque arrêt à la pompe. Et puis, mieux, cette histoire, racontée par Yves lui-même, de reconnaissances lors du Tour d’Italie. Andruet, qui conduit à 200 km/h, lui dit : « Tiens le volant, je regarde la carte ». Lui, qui n’entend pas tout, ne saisit pas le volant et continue, de son côté, à lire la même carte. Et nos deux compères de naviguer volant libre, quelques centaines de mètres durant, à 200 km/h ! Distraits, distraits… Les histoires et les rigolades se poursuivraient bien assez tard, mais, demain, il faudra se lever tôt. Tous s’embrassent et regagnent l’hôtel. Rendez-vous est pris pour le petit déjeuner, à 7 h 30. Premier de cordée, Jean-Luc est dans le hall. Suivent Jean-Pierre, Jean… et Jean Claude, également réputé pour sa ponctualité. Café, croissants et, déjà, nous nous interrogeons sur l’utilité de bottines ou d’un casque. « Non, nous allons juste rouler sur les routes que vous connaissez. » À la station-service, à la sortie de Vals, nos quatre compères sont immédiatement remarqués. Alpine et eux ont marqué l’endroit, pour longtemps encore. En route ! Jean passe sa Renault Clio RS à Jean Claude. Dans un style assez étonnant, très coulé et mettant l’accent sur la vitesse de passage en courbe plus que sur les freinages, Jean-Claude ne tarde pas à livrer son verdict : « La suspension est plus aboutie que celle de la Honda, mais reste très civilisée. C’est une voiture plus homogène pour s’amuser et se déplacer. En revanche, compte tenu des qualités de l’ensemble, je la trouve sous-motorisée. 30 ch de plus et c’était parfait. » Jean Ragnotti, lui, se régale à son volant. « L’impression d’un empattement plus long rend les changements de cap plus calmes. Et, c’est vrai, c’est avant tout une auto homogène, avec une position de conduite très confortable. » Jean-Pierre, de son côté, opte pour la 207 RC et part comme un obus : « Je ne suis plus sous contrat avec Peugeot et je peux donc livrer mes impressions de façon indépendante. La plus efficace est la 207. Le fauteuil, la vision vers l’avant, la précision du train directeur, la vivacité du moteur, le caractère sportif global, la qualité de la boîte… Tous ces éléments sont supérieurs sur la Peugeot. La Honda possède un moteur extra, avec une sonorité métallique assez étonnante et une plage de régimes très large, façon moto. » Tous s’accordent sur les qualités et les défauts de la Civic : l’absence de couple aux bas régimes et un châssis moins sportif. À sa décharge, c’est une auto d’un gabarit plus imposant et qui possède un habitacle plus moderne et d’une qualité de matériaux très élevée.

Question de styles
Les kilomètres s’enchaînent. Jean-Luc Thérier fournit ses impressions depuis le baquet de droite : « L’agrément moteur de la 207 est le plus satisfaisant. Cela pousse dès les bas régimes. Pour faire une voiture de course, en revanche, je partirais de la base de la Honda, qui permet de ne pas changer de rapport entre deux virages. Avec elle, tu tires dessus et ça monte. Le châssis de la Clio est assez fabuleux. Et quand c’est “Jeannot” qui conduit, on a vraiment l’impression qu’elle est parfaitement adaptée à son style ou qu’il la connaît bien. Mais je le soupçonne de l’avoir réglée lui même. Par ailleurs, ce qui m’étonne et me rappelle des souvenirs, c’est qu’avec le même “Jeannot”, la 207 ‘‘guidonne’’ alors que ce phénomène n’existe
pas avec Jean-Pierre au volant. À l’époque des R5 Turbo, quand lui et moi courions et développions ces autos ensemble, nos réglages étaient très différents et nous n’arrivions pas à piloter celle du voisin sans se faire peur. » Effectivement, le style Andruet est fait de vitesses élevées dans les courbes et les lignes droites et d’un fort usage du train avant, tout en douceur et en précision, avec un regard porté loin et des mains assez basses et peu actives sur le volant. Tout le contraire de Jean-Pierre Nicolas, avec des mains qui remontent très haut sur le volant avant de tourner, des freinages assez tardifs et une manière très caractéristique et très vigoureuse d’engager l’auto dans une courbe. Son usage des freins est aussi plus fort, mais celui des pneus un peu moindre. Enfin, en matière de spectacle, Ragnotti est, de l’intérieur comme de l’extérieur de l’habitacle, très spectaculaire.

JE VEUX BIEN MONTER AVEC TOUT LE MONDE, MAIS PAS AVEC JEAN-CLAUDE. SINON, IL VA NOUS ARRIVER UN TRUC. ET J’AI DÉJÀ DONNÉ…

JEAN-LUC THÉRIER

Jean-Luc Thérier, non pas au Monte-Carlo, mais aux Cévennes 1972, avec la monstrueuse Alpine Groupe4 Turbo. Un an plus tard, la marque de Dieppe était Championne du Monde des Rallyes.

Coïncidence ! Au moment de s’embrasser et de se séparer, nos compères croisent l’expilote de F1 Erik Comas, grand malade d’Alpine, qui organise des sorties en Alpine de course d’époque avec Christian Schmaltz, alors patron du patrimoine Renault.

Le feu sacré brûle toujours
Figurez-vous qu’il ne dirige pas son auto en fin de freinage, mais la déséquilibre en délestant l’arrière d’un geste sur le volant, bien avant de songer à la trajectoire de la voiture. C’est étrange, mais il réalise ceci à un tel degré de perfection que ses vitesses de passage en courbe, en glisse, au frein à main ou autre, sont réellement étonnantes. Son avis sur la question : « Je déteste me sentir obligé de faire ce que la voiture sait faire. J’aime décider et maîtriser son passage. C’est pourquoi je la déséquilibre et l’inscrit ensuite, avec volant, freins et accélérateur, à ma guise… » Dit comme ça, cela semble simple, non ?
Nous approchons de midi. Reste une question : et la course, aujourd’hui ? Figurez-vous qu’Andruet venait de s’illustrer dans le Tour de Corse historique (organisé par Yves Loubet), qu’il possédait deux voitures de course (une Corvette et un proto Lola) et qu’il reprenait le manche depuis peu, organisait des journées de pilotage et restait ouvert à toute proposition. Jean Ragnotti fi lait le soir même à La Rochelle pour le rallye historique qu’il allait remporter sur une Alpine Berlinette Groupe 4 (on ne se refait pas…). De son côté, Jean-Pierre Nicolas a disputé le même Tour de Corse qu’Andruet sur son Alpine (on ne se refait pas, bis) et avait rendez-vous ce soir-là à Montpellier, chez Alméras, qui débutait pour lui la construction d’une Porsche 911 Groupe 4 identique à celle de sa victoire au Monte-Carlo 1978. Bref, comme vous le savez, la course est une passion dans laquelle on tombe une fois pour toutes. Et, comme Jean-Luc Thérier n’avait pas eu la chance de prendre le volant, nous avions décidé, avec la complicité d’Erik Comas, de lui faire une petite surprise. De retour à notre camp de base, à Antraigues, la formidable armada des Berlinette 1600S et 1800 du Comas Historic Racing nous attendait ! Un peu trop tard, hélas, pour Jean-Luc, qui, comble de malchance, allait croiser un semi-remorque sur la neige lors de son retour du côté de… Dieppe. C’est clair : il faudrait recommencer. Son ami Nicolas le confirme : « Une journée comme celle-ci, tu ne peux savoir comme cela me plaît. J’en prends pour des mois. J’adore. Conduire, piloter, se retrouver, rigoler… » Recommencer, oui, mais où ? Et quand ? Au Mans ? Au Maroc ? En Afrique ? Une affaire à suivre…